Le boycott profite-t-il aux boycotteurs?


Appel à suspendre le boycott contre Centrale Danone


L’appel de quarante-deux personnalités de gauche à suspendre le boycott contre Centrale Danone a essuyé de nombreuses attaques, mais cela donne-t-il pour autant raison à ceux qui s’y opposent?

Rien ne semble près de mettre fin au boycott de plusieurs produits de consommation courante en cours depuis le 20 avril 2018; surtout pas l’appel lancé ce 4 juillet par quarante-deux personnalités marocaines principalement de gauche pour suspendre pour une durée de dix semaines, jusqu’au 14 septembre 2018, le boycott dont fait plus précisément l’objet la compagnie Centrale Danone, leader de la production laitière au Maroc (environ 60% des parts de marché).

Aussitôt l’appel publié sur les médias sociaux, ses signataires ont essuyé de nombreuses attaques de la part des internautes, allant jusqu’aux accusations de traîtrise, qui ont poussé certains d’entre eux à faire machine arrière à l’instar du journaliste Sami Elmoudi ou encore du président-directeur général de la holding Richbond, Karim Tazi, qui a invoqué la position de son parti, le Parti socialiste unifié (PSU), qu’il avait rejoint en janvier 2017.

L’appel n’est pourtant pas, à proprement parler, un blanc-seing ou un plaidoyer favorable à Centrale Danone, puisqu’il fait suite à l’engagement d’Emmanuel Faber, PDG de Danone, maison mère de Centrale Danone, à revoir le modèle de production de cette dernière, de sorte à pouvoir à l’avenir écouler le lait à un prix convenable pour la majorité des Marocains; motivation initiale du boycott.

Attaques attendues
Au cours de sa visite du 26 juin 2018 au Maroc, M. Faber avait lancé l’idée de consultations populaires, afin que tout le monde puisse décider, et non seulement le management de Centrale Danone, de la marche à suivre. Pour prouver sa bonne foi, le dirigeant français avait nommé auprès du PDG de Centrale Danone, Didier Lamblin, une de ses plus proches collaboratrices, en l’occurrence Corinne Bazina, responsable de la plateforme Danone Communities, «chargée de soutenir des acteurs locaux dans la construction de nouveau modèles d’entreprise à vocations plus inclusives,» comme l’a expliqué M. Faber. Et c’est, donc, sur cette base que les quarante-deux personnalités avaient publié leur appel.

De l’aveu de nombreux d’entre eux, les attaques des internautes étaient attendues. «Bon nombre de signataires ont confirmé qu’ils étaient d’accord avec les idées contenues dans le communiqué et avaient peur d’être attaquées, chose qu’on attendait de la part de certains,» a expliqué l’activiste associatif Fouad Abdelmoumni, qui s’est défendu de tout marchandage avec Centrale Danone avant la publication de l’appel -«ce sont des paroles vides de sens», a-t-il fustigé.

“Le moment de la réflexion”
Mais sans doute que la violence suscitée par le lancement de l’appel a dépassé leur imagination. Sur les médias sociaux, rares sont ceux qui ont osé prendre leur parti; ceux qui l’ont fait se sont également fait lyncher. Ceux des signataires qui maintiennent encore leur appel espèrent cependant que les boycotteurs sauront être sensibles à leurs arguments.

«Notre espoir est qu’après les réactions qui ne sont pas profondes vienne le moment de la réflexion,» a déclaré M. Abdelmoumni. Car il faut dire que sans pour autant disculper Centrale Danone ni chercher à lui trouver des excuses, quand bien même celles-ci seraient recevables, le maintien de la campagne à son encontre dans le contexte actuel est loin d’être productif, sinon le contraire. Actuellement, de 400.000 à 450.000 emplois directs et indirects seraient menacés selon ce qu’avait révélé le 5 juin 2018 au parlement le ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, Aziz Akhannouch, dont la société Afriquia, leader du secteur des hydrocarbures, fait également les frais, au passage, de la campagne de boycott.

Les licenciements au niveau de Centrale Danone ont à eux seuls atteint, depuis le début du boycott, 886, après que la situation soit devenue «intenable» selon ce qu’avait déclaré M. Lamblin dans une interview publiée le 29 mai 2018 par le journal électronique Médias24. Ils concernent pour l’instant uniquement les intérimaires de moins de six mois, toujours selon le PDG de Centrale Danone, mais pourraient s’étendre à d’autres salariés.

Sauver les meubles
Ces derniers avaient pour cette raison tenu, le 5 juin 2018, un sit-in devant le parlement pour protester contre le boycott, mais anecdotiquement, ils s’étaient fait voler la vedette par le ministre délégué chargé des Affaires générales et de la Gouvernance, Lahcen Daoudi, qui les avait rejoints peu avant de se rendre une séance à laquelle il devait assister à l’institution législative -il avait, le lendemain, fait savoir qu’il démissionnerait, avant de se rétracter moins de 24h plus tard. Centrale Danone avait également pris la décision, le 26 mai, de baisser son approvisionnement en lait de 30%, après avoir vainement tenté, selon le management, de sauver autant que faire se peut les meubles. Signe qui ne trompe pas, la compagnie ne devrait pas distribuer cette année de dividendes à ses actionnaires, selon ce qui a été décidé à l’assemblée générale ordinaire du 13 juin 2018, tellement les voyants sont au rouge.

Si la position des citoyens se comprenait du moment que le management de Centrale Danone refusait de prendre en considération leurs revendications et que certains cadres de la compagnie les traitaient de «traîtres à la patrie» -dixit le directeur des achats de la compagnie, Adil Benkirane, dont les plates excuses relayées par la suite sur les médias sociaux n’ont rien changé à la donne-, le fait de camper sur leur position n’est pas pour arranger la donne. À vrai dire, ils pourraient y perdre plus qu’ils ne croient gagner.

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