Amale Samie a marqué mon adolescence

 

Le druide berbère


Ce 27 janvier, et sans que beaucoup de ses concitoyens ne le sachent, un des plus grands écrivains marocains de notre époque a rendu l’âme. Amale Samie n’était en effet pas ce qu’on pouvait appeler une figure publique. Bien au contraire, tandis que sa plume trempée dans l’or du verbe paraissait le porter, tel un principe phototaxique, vers la lumière de la renommée, lui donnait l’impression de fuir les honneurs et vouloir s’élever vers des hauteurs autrement plus authentiques, et c’est d’ailleurs dans son massif d’origine de l’Atlas qu’il avait choisi de finir ses jours, comme un symbole de cette quête à laquelle seul un artiste vrai pouvait bien croire et consentir. Lorsque j’ai pour la première fois connu Amale Samie, j’avais à peine 15 ans. C’était par le truchement d’un magazine pour lequel il avait travaillé et écrit des chroniques après avoir quitté Maroc Hebdo au début des années 2000.

Je fus d’abord interpellé par son prénom à consonance féminine, qui me renvoyait un peu au mien, puis par son allure de druide berbère, cheveux longs et barbe fournie, qui allaient au fur et à mesure se teinter de gris jusqu’à devenir entièrement blancs au moment où j’allais pour la première fois le rencontrer physiquement il y a à peu près trois ans. Entre-temps, j’étais moi-même devenu journaliste, après avoir fait l’institut de journalisme de Rabat, et naturellement je m’étais cherché des modèles, ou, pour reprendre la célèbre formule du philosophe français Bernard de Chartres, des géants sur les épaules desquels je pouvais me dresser. Amale Samie fut naturellement l’un d’eux.

C’est particulièrement après avoir intégré Maroc Hebdo, en avril 2012, que j’eus le plaisir de le redécouvrir. Moi qui manquais beaucoup de culture générale relative à l’actualité marocaine, j’entrepris de lire les numéros du journal depuis sa fondation en novembre 1991. Je ne pus donc échapper à «Faut-il vous l’envelopper?», la célèbre chronique que le défunt avait tenue des années durant; son bagou, qui rappelait le meilleur Khaïr-Eddine; et bien sûr sa richesse lexicale, puisqu’il fallait bien s’armer d’un dictionnaire pour pouvoir affronter le torrent prosaïque qui se présentait sous mes yeux. J’eus même l’idée d’acheter son roman Cèdres et baleines de l’Atlas, pour lequel il avait obtenu le prix Grand Atlas, mais je ne suis jamais encore tombé dessus dans une libraire; peut-être parce que l’édition originale est épuisée.

J’aurais pu, il est vrai, en faire la demande à l’intéressé lui-même, mais à chaque fois que nous nous sommes retrouvés au même endroit, je me sentais trop intimidé pour le faire: j’étais de nouveau cet adolescent de quinze ans découvrant son portrait dans quelque magazine de la place. L’épaule du géant était en fait plus haute que ce que je pensais

 

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