Les responsables politiques sont appelés à une mise à plat de leur action en dehors des rendez-vous électoraux.
L’on devrait davantage écouter Abdellatif Jouahri, wali de Bank-Al-Maghreb (BAM). Il est une voix qui compte dans le débat national. Il vient d’en fournir une nouvelle illustration, mardi 19 février 2019 à Rabat, lors de la conférence The Euromoney Conference Morocco.
Dans son intervention, il a abordé -comme le HCP, le CMC ou des organismes internationaux- la problématique du modèle de développement à l’ordre du jour, mais aussi autre chose: le rôle des partis politiques. Contrairement à certaines réactions, ce n’est pas là un thème inédit dans les interventions de ce haut responsable. Ainsi, peut être citée, entre autres, son allocution devant le Roi, le 19 juillet 2013, lors de la présentation du rapport annuel de 2012: «La stabilité politique, avait-il déclaré, dépendra de l’amélioration des conditions de vie des Marocains». Deux ans après la contestation du printemps 2011, voilà une recommandation qui ne manque pas de relief. Voici près de trois ans encore, devant le Souverain, il avait souligné le 29 juillet 2016, dans son rapport de 2015, qu’il fallait «renforcer le front interne et placer les enjeux stratégiques au-dessus des considérations d’ordre politique ou catégoriel».
Cette semaine, le wali de la banque centrale est allé sans doute plus loin en appréhendant de manière critique le travail des formations politiques. Il a ainsi appelé les responsables politiques et gouvernementaux à une mise à plat de leur action et ce «en dehors des exercices réguliers des lois de Finances et des rendez-vous électoraux ». Il considère dans cette même ligne que pareille mise en question «devrait être instaurée comme une exigence permanente dans le processus d’élaboration de la politique publique sur la base d’évaluation neutre et objective». Et d’ajouter que «c’est de cette manière que le pays pourra redonner crédibilité à l’action publique et aux institutions politiques».
Un tel constat, passablement inattendu, marqué du seau de l’insatisfaction, fera grincer bien des dents du côté des partis, ceux de la majorité comme de l’opposition. Un état des lieux qui rappelle le discours royal devant le Parlement, le 12 octobre 2018, mais également plusieurs autres antérieurs. Si le système partisan en est là, c’est donc qu’il ne fonctionne pas dans des conditions conséquentes. Les traits qui marquent cette situation sont connus. L’un a trait à la faible implantation organique et territoriale des partis; certains d’entre eux n’arrivent même pas à présenter des candidats dans les quelque 300 circonscriptions législatives de la Chambre des représentants. Les mêmes souvent, mais aussi ceux présentés comme étant «représentatifs » n’échappent pas à ce paramètre: la course aux chiffres et donc aux voix. Le capital électoral est considéré comme le vecteur le plus opératoire de décrochage de postes, de mandats voire même de ministères dans la mise sur pied d’une majorité. Comme l’a noté Abdellatif Jouahri, l’élan des partis et leur visibilité épisodique ne se manifestent que lors des délibérations annuelles sur la loi de Finances. Le reste du temps, il peut y avoir quelque «sortie» sur tel ou tel point -un texte, une affaire,… Mais, en dernière instance, peu de production sur les grands dossiers nationaux...
Que faire? S’accommoder de cette situation, pratiquement en «mode veille»? Préparer les conditions et les modalités de son évolution devant conduire à un système de partis réoccupant le champ politique et retrouvant une place réhabilitée aux yeux des citoyens? Mais alors une telle transformation viendrait d’où? Des partis eux-mêmes? Difficile à croire pour la majorité d’entre eux. De quoi interpeller les citoyens et les électeurs pour s’insérer davantage, malgré les «résistances», dans la redynamisation et l’ouverture des partis.
Ce processus souhaitable ne se fera pas d’une manière mécanique mais il fera sentir ses effets à terme si les électeurs en âge de voter s’inscrivent sur les listes électorales, s’ils votent lors des scrutins et s’ils optimisent des pressions par leur mobilisation, à travers les réseaux sociaux ou ailleurs… Il importe également, dans cette éventuelle nouvelle physiologie partisane, que les partis puissent assumer pleinement leur autonomie de décision et qu’ils ne subissent, sous telle ou telle forme, des pesanteurs voire des pressions venant de cercles opaques passablement rétifs à la consolidation et à l’élargissement de la place et du rôle des partis, structurants et incontournables dans la transition démocratique.