Abdelilah Benkirane dispose-t-il d’une grande marge de manœuvre ?
Les inconnues du nouveau gouvernement

Mustapha Sehimi
Quelle que soit la formule gouvernementale qui finira par prévaloir d’ici le 20 novembre 2016, au plus tard, Abdelilah Benkirane se trouve confronté à d’autres contraintes. Selon le traitement -ou la réponse– qui y sera apporté, c’est le visage et sans doute le mode de fonctionnement du nouveau cabinet qui seront ainsi articulés. En laissant de côté les contours de la majorité, encore en instance donc, il faut se demander quelle sera précisément la configuration qu’elle prendra dans l’organe exécutif. Aujourd’hui, l’on y compte pas moins de trente ministres, dont 14 ministres délégués. Une telle pléthore a-t-elle été un facteur de cohérence et d’efficacité? Personne ne peut sérieusement le soutenir.
La tendance actuelle est en effet plutôt au resserrement avec, par exemple, quinze ministres seulement comme en Espagne. Le principe qui prévaut à cet égard regarde la mise sur pied de grands pôles, confiés à des profils éprouvés, crédibles. Il en est parfois question mais pas dans les faits. Aujourd’hui, Abdelilah Benkirane parle d’un cabinet réduit à 25 membres, mais y arrivera-t-il? Autre problème: celui de la gouvernance de l’Exécutif.
Deux aspects doivent être distingués à ce sujet. L’un a trait au rôle qu’il doit assumer. Le principal grief qui a été fait depuis 2012 à Benkirane est celui de “mixer” son statut de responsable gouvernemental la semaine ouvrée avec celui de leader d’un parti, la formation islamiste du PJD, le week-end. Cela a fragilisé la majorité et a même conduit à la rupture avec le Parti de l’Istiqlal de Hamid Chabat en juillet 2013; lequel a invoqué, entre autres choses: le manque de concertation –c’est le second aspect. Ces mêmes critiques ont d’ailleurs été reprises à la suite par Salaheddine Mezouar et mises en relief lors de la dernière campagne électorale. L’idée d’une charte de gouvernance a été ainsi évoquée. Verra-t-elle le jour cette fois-ci? En tout cas, le problème est posé.
L’interrogation sur la représentation féminine dans le nouveau cabinet est également à l’ordre du jour. Dans le gouvernement sortant, les femmes n’occupaient que six départements. Un progrès par rapport au cabinet Benkirane I, où l’on n’en comptait qu’une seule femme. Le taux actuel de 15% sera-t-il sensiblement amélioré? Benkirane a déclaré dernièrement que son parti comptait accorder trois secteurs à trois femmes, les sortantes n’étant pas reconduites. Qu’en serat- il de ses alliés? Nul doute qu’ils voudront se distinguer à cet égard mais jusqu’à quelle proportion féminine? Et dans quels secteurs? Avec les ministres “indépendants”, qu’en sera-t-il? Sur un total de 38 membres, pas moins de sept d’entre eux sont qualifiés comme n’étant pas partisans. A quoi tient cette particularité? Il faut ici distinguer entre les titulaires de départements. Certains d’entre eux dirigent des secteurs traditionnellement affectés à des représentants de partis –tel est le cas de Mohamed Louafa (Affaires économiques) et de Rachid Benmokhtar (Education nationale).
Mais les cinq autres couvrent des secteurs régaliens: (Intérieur: Mohamed Hassad et Charki Draïss, Habous et Affaires islamiques: Ahmed Toufiq, Administration de la Défense nationale: Abdellatif Loudiyi, ou un ministère délégué aux Affaires étrangères: Nasser Bourita). Cette équation- là sera-t-elle reproduite, même si tous ces ministres sortants ne seront vraisemblablement pas tous reconduits? Abdelilah Benkirane voudrat- il –ou pourra-t-il– mettre à plat la question de l’élargissement de son périmètre de proposition et ne plus tenir compte d’un “domaine réservé” relevant du seul pouvoir de décision du Roi?
En 2011, Abdelilah Benkirane avait été propulsé à la tête de l’Exécutif sans qu’il s’y attende ni qu’il s’y soit préparé. Il s’est vu imposer des ministres indépendants en particulier dans le département de l’Education nationale. Au vu des résultats du 7 octobre, ne sera-t-il pas tenté de reconquérir des territoires perdus avec cependant une limite ultime: celle des ministères de souveraineté.